Jérémie & Rosalie, le clap de fin ?
On apprend plus de nos échecs que de nos succès. Merci à toutes les familles qui nous ont soutenu•es et suivi pendant ces quelques années. Savoir que nos photos seront encore partagées en famille durant des générations nous rappelle pourquoi nous avons fait tout ça. Et à bientôt pour de nouvelles aventures !
Nos médias regorgent de témoignages de Success Stories à base d’entrepreneurs ayant trouvé l’alignement parfait entre leurs talents, le marché et leurs inspirations personnelles.
Aujourd’hui je te propose un petit voyage différent. C’est un sujet assez personnel pour moi et il m’a fallu beaucoup de temps pour prendre le recul nécessaire pour écrire quelque chose de vrai et de positif.
Petit Disclaimer, je ne prétends pas ici faire des généralités pour tout le monde, je te livre simplement mon vécu d’entrepreneur.
J’ai bien conscience que j’aurais pu faire les choses différemment et éventuellement finir par réussir avec encore plus d’acharnement et surtout si les circonstances avaient été différentes.
Voilà, ça, c’est dit, on passe à la suite.
1. LE RÊVE DE DÉPART
Pour te faire rapidement la genèse du projet, après de nombreuses années en tant que graphiste et développeur free-lance j’étais extrêmement fatigué de travailler seul derrière mon ordinateur.
Nous avons vécu à ce moment-là de profonds changements familiaux avec l’arrivée de trois enfants dans nos vies dont deux jumeaux.
Ce bouleversement m’a donné envie d’aller vers un métier qui ait plus de sens, qui soit plus créatif et surtout plus humain.
Et c’est par ce biais que j’ai abordé la photographie qui avait toujours été une passion embryonnaire.
Ayant fait à l’origine des études de réalisation audiovisuelle, la création d’images n’était pas totalement une inconnue dans mon arsenal de compétences.
J’ai donc décidé d’investir lourdement dans du matériel photographique en investissant une bonne partie des bénéfices accumulés par mon activité free-lance.
Et je me suis tout de suite lancé dans la création d’une SAS avec l’ambition de commencer par faire des mariages et de faire grossir par la suite mon entreprise en créant mon propre studio sur Lyon.
La première année a démarré doucement, mais Rosalie (ma femme au cas où tu ne la connais pas encore), m’a tout de suite rejointe comme seconde photographe sur la plus part de mes shootings.
Dès le départ nous avons brassé large : photographe de mariage, de famille, d’enterrement de vie de célibataire, de maternité…
2. UN MÉTIER FORMIDABLE
Nous avons eu la chance de rencontrer rapidement des couples et des familles incroyables.
Parmi ces familles, certaines sont devenues des amis et d’autres des clients fidèles qui nous rappelaient d’années en années pour les aider à immortaliser leur histoire familiale.
Tout partait pour le mieux, notre savoir-faire grandissait à chaque expérience.
Nous avons vite réalisé qu’en matière de photographie sociale, acquérir une bonne technique ne représente qu’une infime partie du travail.
Ce sont surtout les aspects humains qui importent. Savoir suivre et détendre les enfants et être à leur écoute. Et surtout comprendre que ce sont eux qui mène la danse lors des shooting.
Puis avoir ce petit truc qui leur permet de réaliser à quel point leur papa et maman sont des héros. Savoir figer l’instant décisif pour quelques photos qui resteront accrochées au-dessus de la cheminée pendant des décennies.
Réaliser qu’un mariage est un événement qui ne se vit qu’une fois dans sa vie et que cette réalité met une pression gigantesque sur les mariés. Savoir être à leur écoute et parfois même être un petit peu psychologue pour faire redescendre l’atmosphère.
Au fil des rencontres et des shooting nous avons pu développer notre style au travers de ce que nous faisions et surtout au travers de ce que nous ne faisions pas.
Le fait de ne pas avoir créé de studio photo tout de suite nous a permis de nous affranchir des murs et d’apprendre à composer avec les aléas du terrain.
C’est ça aussi être photographe social, il faut être un petit peu fondu du ciboulot.
Un shooting photo famille peut-être refait ou reporté en cas de crash de carte mémoire, de problème matériel ou de pluie battante.
Mais un mariage c’est du sans filet. Il faut savoir être dans l’instant, respecter le tempo, être au top de sa forme durant 8, 12 voir 15 heures de shooting d’affilée tout en étant alerte à la moindre petite chose qui se passe.
Sur ces événements nous n’avons pas le droit à l’erreur. Nous n’avons pas le droit d’oublier une photo. Nous n’avons pas le droit de prendre des photos fades, même si le ciel est gris.
Nous avons appris à aimer ce défi.
J’étais même devenu accro à ce choc d’adrénaline. Avant chaque mariage j’avais cette boule au ventre, même après 50 mariages au compteur. Et pourtant tellement content du travail qui m’attendait.
3. QUAND LE BOULOT PARFAIT VIRE À L’OBSESSION
Des années qui suivirent sur pleines de bâtons dans les roues.
Suite à un crash serveur et à une sauvegarde non opérationnelle nous avons perdu notre site en pleine saison.
Nous avions tout misé sur notre communication online.
Le temps de ré-créer entièrement le site une fois la saison terminée le mal était fait… nous avions dégringolé dans le classement de Google et les nouveaux clients pour la saison de mariage suivante avaient déjà trouvé leur photographe.
Niveau financier ça n’a jamais été glorieux. Nous avions beau avoir des tarifs dans la tranche haute du marché ça n’était pas assez suffisant pour me permettre de travailler à temps plein en tant que photographe.
Le business photo peinant à générer plus du tiers du chiffre d’affaires nécessaire pour nourrir 5 personnes j’étais obligé de continuer mon activité de création de sites web.
Je bossais donc le jour sur les sites, le soir sur les shootings familles et/ou les retouches de séances précédentes et le week-end c’était mariage.
Et les mariages… quel boulot ! Notre niveau d’exigence ne nous permettait rarement de passer moins de 4 jours de travail sur le tri et la retouche. C’était chaque fois plusieurs milliers d’images à trier, ordonner et retoucher.
En soit ce travail est passionnant et le produit fini époustouflant mais il était impossible d’être payé à la hauteur de toutes ces heures de travail.
Et hors de question de prendre des raccourcis et de transiger sur la qualité…
Au final nous étions crevés mais motivé•es et comblé•es par notre boulot. Humainement et artistiquement.
Malheureusement passer tous nos week-ends loin de nos enfants que nous confiions a mes gentils beaux parents à bientôt trouvé ses limites.
Petit à petit Rosalie n’a plus fait tous les shootings avec moi.
Puis le bilan financier du choix d’une structure en SAS ne faisait plus sens.
Les tarifs du marché étant constamment tirés vers le bas par les nouveaux venus en auto-entreprise nous causait une concurrence féroce.
J’ai donc fermé la SAS pour passer en micro-entreprise à mon tour. Financièrement c’était mieux, mais il était déjà trop tard. Le décalage de trésorerie accumulé était trop important pour rectifier la barre rapidement.
4. LE DÉCROCHAGE
Au bout de quelques mois la passion avait commencé à s’essouffler.
J’aimais toujours profondément faire des shootings familles mais les à côtés (organisation, retouches photos, paperasse) commençait vraiment à m’user.
Sans compter la pression des mariages accumulée avec la fatigue et le stress financier.
Puis le Covid est arrivé. Et il a fallu en plus rembourser certains acomptes et se batailler pour des annulations injustifiées…
A ce moment-là nous avions déjà décidé de partir pour devenir nomades à temps plein.
Le Covid n’a fait que nous conforter dans notre choix.
Un business photo social c’est fait pour du local, cette décision a donc sonné le clap de fin pour notre petite entreprise.
J’ai repris mes sites web à temps plein, cette fois-ci sur la route.
5. CE QUE CETTE AVENTURE M’A APPRIS
- Le premier point est que la différence entre un photographe amateur et un pro est juste une question d’argent. J’ai rencontré des amateurs bien plus créatifs et avancés techniquement que certains pros. Au final je ne pratique plus professionnellement mais cette aventure a fait de moi un photographe. Et ça, on ne peut pas me l’enlever.
- Autre grande leçon : avoir la passion, mettre toute son énergie et rester en accord avec ses valeurs ne va pas forcément remplir le frigo. Ça peut paraître cynique et aigris mais c’est malheureusement une réalité.
- On ne peut pas toujours réussir du premier coup et certaines idées peuvent fonctionner à un moment de sa vie et ne plus être possible plus tard. Monter ce business 5 ans plus tôt, avant d’avoir mes enfants, aurait certainement facilité les choses.
- Toute expérience est bonne à prendre. Au-delà de l’expérience photo, créer mon business m’a permis de changer ma façon d’envisager ma carrière et de voir l’entrepreneuriat.
- Même si l’histoire s’est terminée sans feu d’artifices elle a été incroyablement enrichissante humainement. Rencontrer toutes ces familles a fait de moi une meilleure personne. Plus ouverte, plus avenante et plus à l’écoute des autres. Et ça, c’est le plus beau cadeau au final.
- Et pour finir je réalise que ma Rose est une femme incroyable. Elle a appris la photo en quelques mois et s’est éclaté à mes côtés même si ça n’était pas sa vocation initiale. Me voir épanoui artistiquement est un moteur pour elle, quand je suis motivé elle pourrait me suivre jusqu’en enfer. J’adore travailler avec toi mon amour, et j’espère que tu sauras aller au bout de tes propres rêves.
6. LE MOT DE LA FIN
Si c’était à refaire ? Je le referais. Toutes les choses apprises sur le terrain valent entièrement les galères, le stress et la fatigue. Et qui sait, ces compétences me re-serviront certainement un jour où l’autre.
La photo fera toujours partie de ma vie. Peut-être différemment mais elle sera toujours là.
Que ce soit pour mettre ce savoir-faire au service de l’histoire de notre propre famille (comme ici : sur notre compte Instagram de famille nomade ou pour peut-être un jour monter autre chose qui saura profiter de toutes les erreurs et de l’expérience accumulée.
On apprend plus de nos échecs que de nos succès.
Merci à toutes les familles qui nous ont soutenu•es et suivi pendant ces quelques années. Savoir que nos photos seront encore partagées en famille durant des générations nous rappelle pourquoi nous avons fait tout ça.
Et à bientôt pour de nouvelles aventures !
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Article original publié sur le journal de bord de Jérémie :